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Le regard de Bruno Podalydès dans "Le vrai monde"

Depuis le mois d'Avril 2021, une nouvelle "rubrique" est à l'honneur dans "Le vrai monde" de Pierre Gaffié sur Fréquence Protestante 10.7 fm : le regard de l'invité.e, ses yeux, sont analysées de façon libre et poétiques par Anne Rioux, analyste du meta-langage (et clinicienne)


La chanteuse Jil Caplan, les comédiennes Mathilda May et Aïssa Maïga, les réalisateurs Christian Philibert et Fred Cavayé ont étrenné ce moment fort (sans jamais être au courant)





Voici, ci-dessous, le texte illustrant le portrait des yeux de Bruno Podalydès, cet immense et si novateur cinéaste.



"Des yeux ronds, foncés, calmes avec un quelque chose de naïf . Des yeux de Pierrot de la comedia del ´Arte. Un regard qu’on pense candide, badin, arrimé à l’enfance avec même encore une petite larme. Ce regard a tout de suite notre sympathie. Il invite à un échange tant il est au premier instant , tranquille, sans arrogance, attachant. On n’y voit aucune hysterisation mondaine , aucun maniérisme des beaux quartiers , pas de jeux savants don Juanesque.


On s’approche sereinement prêt à dire "apprivoise moi". On se sent dans une aire de pause ou force tranquille, comme dirait un publicitaire, mais mais ….passées les premières secondes on est happé par la profondeur de l’iris , véritable lune noire cerclée d’une couronne de diamants bruts. Une lumière incisive éclaire le noir . Ces yeux là se cognent au réel mais y projettent leur halo qui signe une conscience aiguë. INTELLIGENCE de ce regard que l’on prend trop vite pour un regard d’adhésion. En latin Inter legere . Tout est dans le préfixe. Inter= entre, parmi …A la fois un mouvement oculaire placide mais avec une lampe frontale de chirurgien qui explore plus loin dans le cavum. On est déjà moins tranquille car on ressent une vision amphibologique. Un regard sombre sans bruit , réservé mais cerclé d’une kyrielle d’étincelles vives qui pétillent et craquent . Si ce regard était une saison ce serait l’hiver pour le rigoureux, le repli mais surtout pour les grands feux dans l’âtre. Feu qui convoque, réchauffe, dilate les émotions et fait exploser les cœurs qui montent en braises éclatées et rougeoyantes pour éclairer la nuit .Paradoxe de l’amphibologie , ça pourrait peut être , tout aussi bien, être le printemps . Ce côté frais, enfant , un rien fragile qui a soif de liberté …mais qui attend . . « Je SAIS que je suis libre mais je SENS que je ne le suis pas", disait Cioran.

Un printemps c’est un oxymore comme ce regard sombre et lumineux.


C’est un tumulte de bourgeons cadenassés qui sous la pulsion d’un soleil de midi cassent les barreaux et la vie pépie joyeusement libérée, coloré .Une vie éclatée et du coup éclatante de ses vérités entre le Bien et le Mal. Dans ces yeux là une perception jamais ébahie, ébaubie, plate.


Ce regard enfile l’endroit et l’envers du réel dans un gant de velours ou d’acier, c’est selon. Il sait voir ce qui est beau et humain mais aussi l’ordinaire ou le ma , malheureusement tout aussi humain. . Ce regard c’est une lucarne qui s’ouvre et empêche que tout ne s’ankylose. Il ne reste pas passif . Il voit et passe par dessus et par dessous et transgresse pour éviter tics et tocs qu’engendrent les douleurs ou frustrations de nos jours . Ces yeux là nous interpellent , nous invitent vers des chemins de traverse , où l’on respire mieux En fait , on pense à Till Eulenspiegel. Des yeux qui ne disent pas tout d’emblée mais viennent nous chercher pour sortir des labyrinthes dans lesquels on s’est enfermé sans gaine d’aération. Eulenspiegel, la chouette et le miroi . (le sombre et la lumière. Cet oiseau de Minerve, sage, contenu, avide de connaissance et ce miroir , ce halo , qui reflète et grossit ce qu’on ne voit pas assez bien, notre vie bruyante et ses failles . Ce regard capte, analyse, voit en puissance, va plus loin et choisit une forme d’espièglerie pour déplier le monde et l’ouvrir en jouant de la flûte comme font les enfants qui disent: » y aurait qu’à , on dirait que… » et ainsi les bourgeons se libèrent et la respiration d’oxygène. . . . Qui m’aime me suive disent ces pupilles ! Et pour sourire, osons dire que, je me souviens que Eulenspiegel vient du vieil allemand rural ul’n spegel qui veut dire “je t’emmerde” . La liberté, je la sais , je la sens et je la vis !


Voilà ce que disent ces yeux là.


Anne Rioux.

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