J'ai eu envie il y a 3 ans de proposer à une spécialiste du meta-langage, Anne Bounaix, qui est aussi clinicienne, de se "pencher" sur les yeux dee nos invités radios, un peu comme si l'on regardait la lune pour tenter de voir son humeur. Il y eut en vrac : Mathilda May, Fred Cavayé, Aïssa Maïga, Bruno Podalydès, Stone (sans Charden), Eva Ionesco, BernieBonvoisin et bien d'autres.
Et puis un jour, ce fut le tour de Emma Daumas...
Voici le texte de Anne :
"Ce regard nous interpelle comme une fleur sauvage qui pousse dans un interstice de muraille. Ce regard saute aux yeux, s’impose. On ne peut pas ne pas le voir. On le trouve étonnant, à la fois fier et un rien gavroche. Belle allure.
Il tient sa place comme on tient une place forte. Il apparaît solide mais furtif, hâtif. Il tourne et retourne, semble aux aguets, tourbillonne comme l’hirondelle les soirs d’été, en dessous au dessus, s’en va et s’en revient. Il vous encercle mine de rien avec une légèreté vaporeuse, une sensualité mutine, et vous êtes intercepté. Le charme a opéré.
Si on avait droit pourtant à une seule épithète pour définir ce regard ce serait “doux”. Oh oui, la douceur! Une grande et douce douceur. ( pléonasme? Non redondance pour le plaisir ). Chacun, à coup sûr, reçoit cette impression de douceur, c’est à dire de délicatesse, de légèreté, de fluidité, de tact intelligent, comme Delphine Seyrig chez Truffaut. Une impression c’est ce qui MARQUE, laisse une trace et nous nous laissons donc imprimer par ces traits de couleurs suaves, mélodieux et caressants On resterait bien là dans cette invitation voluptueuse et moelleuse.
Mais c’est comme les tatouages . Il y a ceux qui impriment juste en surface, et ceux qui impriment en profondeur, dans la chair. Précisément c’est une évidence trop simple, ce halo de douceur, plat comme lac endormi au soleil.
Ça c’est le tatouage de surface. Une évidence, une immédiateté réactive, une affirmation sensible, un élan perceptif mais ce n’est pas LA vérité, si jamais celle-ci se laisse fixée comme le papillon de l’entomologiste. La vérité de ce regard-ci est beaucoup plus complexe et profonde qu’il n’y parait au premier abord. Elle est tapie, là-bas, bien au fond du globe oculaire pourtant clair et apparemment serein . Ce regard est un atelier, un atelier de sculpteur travaillant sa matière brute avec ses gouges, ses étaux, râpes et rifloirs . Ça travaille dur; l’artiste est à l’œuvre. De ce lieu occulte et secret viendra le vrai tatouage quand vous porterez vraiment attention à ces yeux. Vous allez être définitivement imprimé, marqué .Soyez présent à ce regard et vous allez ressentir ses aiguilles rétiniennes creusant la chair avec les encres de la vie bien au delà de l’épiderme des apparences " parisiennes”Nos qualificatifs spontanés ne disaient qu’une vérité ÉVIDÉE, éviscérée même. Mais à aller trop vite on ratait la matière, le sang, les tripes. Se laisser séduire illico sous le charme de cette douce nébuleuse c’est faire l’embargo sur l’essentiel. Il faut donc s’attarder, prendre le temps d’aller au fond du corridor de la pupille. Alors on voit les brouillons de vie comme il y a des bouillons de culture. Ce regard vient de loin. Il se taille au couteau au grés de toutes les occurrences sans en dénier aucune. »
Des vents traversent cette vie oculaire. Zéphyr ou mistral dansent sur la frêle mais solide garrigue des iris. On y voit les ondulations, les frémissememts, les oscillations de la vie comme dans un tableau de Van Gogh.
Ça vibre tout le temps dans ces yeux .On sent les énergies d’hier et d’aujourd’hui et même celles de demain qui déjà arrivent. Au plus près de ces yeux on se sent comme sur une tectonique des plaques. Rien n’est jamais calme et définitif. La vie n’en finit pas d’advenir et un séisme de 5 ou 6 sur l’échelle de l’envie peut toujours tout bousculer.
C’est pour cela que, comme l’archéologue brossant la belle poterie, il faut, nous aussi, brosser la poussière de nos jugements empressés.
Ainsi on voit plus clairement la matière vivante sui generis de ce regard.Tant de nuances subtiles sortant du temps présent mais aussi d’un temps plus archaïque. Tant de forces et fêlures, de couleurs chaudes et de couleurs froides. Tant de cris et de chuchotements, tant de plaisir et de petites morts. La douceur de ce regard n’est donc pas une sucrerie fondante style amuse-gueule pour un quatre heure.Elle est la palpitation d’une veine au sang noir qui après avoir traversé tout le corps aime se transformer en sang rouge chargé d’oxygène pour que la vie respire et exulte . Cette douceur c’est la respiration au bord de la falaise, ce souffle maitrisé entre vide et plein, entre risque et audace, entre réel et onirisme.
Un autre grand tableau pourrait être convoqué pour évoquer ce regard c ‘est celui du douanier ROUSSEAU,« le rêve » avec cette femme éternelle dans un jardin entre jungle et Éden.
Ce regard provoque un trouble émotionnel.Il est beau, sensuel, expressif et sauvage, immédiat et mystérieux .Tant de contrastes pour nous offrir un joli moment d’ évasion .
Ne croisez pas ce regard, rencontrez le."
Vous pouvez voir la vidéo ici : https://www.youtube.com/watch?v=-UstkoPWdOE
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